Se souvenir d'Eux

 
 
La guerre
 
 
Julien Claude BOSSU
(1900 – 1943)
 

bossu julien

Julien Claude BOSSU

 

 

 
Julien Claude BOSSU est né le jeudi 8 mars 1900 à Dijon (21). Il est le fils de Jean Baptiste BOSSU, facteur des postes, natif de l’Abergement Ste Colombe(71) et de Louise VAUDIO, domestique, native de Ciry le Noble (71).
Julien, épouse à Roanne (42) le 26 août 1922, Marie-Gilberte MARQUET. Le couple s’installe à Mably (42) et aura trois enfants dont un, meurt en bas âge.
 
Une grossesse à risque
Son épouse est hospitalisée - internée de 1926 jusqu'à son décès en 1942 à Clermont Ferrand (63) -, des suites de complications en couche.
Julien se trouve seul à Mably (42) avec deux enfants encore bébés et privés de leur mère.
Un conseil de famille, s’est tenu et voilà les deux enfants "placés"  chacun dans une famille. L’un d’eux réalisera son rêve d’enfant : conduire les trains
Julien, lui, est électricien
 
Côté cœur, séparé de son épouse, Julien ne saura pas attendre la guérison hypothétique de Marie Gilberte. Une certaine Mme GENBON(?) /JAMBON(?) tiendra une grande place dans la vie de Julien. Des enfants, dont Liliane, seraient issus de cette union. Toutefois, je n'ai retrouvé aucun document levant le voile sur ce ouï- dire. Ce nouveau foyer ne pouvant être officialisé par les liens du mariage, la situation de Julien ne le permettant pas.
 
Julien demeure à Mably au moins jusqu’en 1929, d’abord avec son épouse Marie Gilberte, puis Mme Jambon viendra le rejoindre, les deux enfants de Marie Gilberte aussi. Les enfants de Julien et Mme JAMBON y verront probablement le jour.
Julien BOSSU et Liliane
 
Dix années passent,
En septembre 1939, la France déclare la guerre à l’Allemagne, et le 14 juin 1940 les troupes allemandes entrent dans Paris. Le 21 Juin 1940 l’armistice est signée. Moulins (03), la préfecture de l'Allier, et "ses ateliers" se trouvent alors, en zone occupée.
L’atelier de chargement de Moulins reconstruit en 1920 après la catastrophe du 2 février 1918, sera témoin des horreurs de cette nouvelle guerre.
L’atelier de chargement de St Florentin (ASF) est occupé par les Allemands le 15 juin 1940, comme l’atteste un relevé de communication téléphonique de l’ingénieur en Chef FICONNETI à l’ingénieur principal LAMIRAND à Moulins
L’atelier de Moulins sera à son tour bombardé et presque entièrement détruit.
Source : www.defense.gouv.fr Service Historique de la Défense
 
Le 1er avril de cette même année 1940, Julien est titulaire d’une carte du personnel des ateliers de rechargement de Moulins
Carte d’identité des Ateliers de Chargement de Moulins
 
Trois années plus tard, le jeudi 18 mars 1943,
Julien Claude BOSSU meurt à l'âge de 43 ans, à Kiel (Allemagne)
Son corps est rapatrié en France
 
 
Pourquoi Julien est à Kiel en 1943 ?
Pourquoi l’Allemagne ? Pourquoi Kiel ? Que s'est-il passé pendant ces trois années?
Kiel est rattaché au KZ Neuengamme, le grand camp d'Allemagne du Nord et des noyés de Lübeck
 
Je reproduis ici, un extrait d’un courrier reçu d’Yvonne Cossu-Alba, membre du Conseil d'administration de l'Amicale de Neuengamme.
« Kiel était un Kommando extérieur de Neuengamme qui a fonctionné pour des déblaiements et dégagement de bombes, de juillet à septembre 1944, cela ne peut donc pas concerner votre grand-père, décédé avant ces dates. Peut-être était-il réquisitionné pour le Service du Travail Obligatoire ? »
 
Alors, j’ai cherché …
Le Service International des Recherches «  ITS »,
m’a permis de confirmer les termes de «  l’Amicale de Neuengamme ».
 
Ainsi, Julien Claude BOSSU est en Allemagne parce que le gouvernement français a mis en place ce qu’on appelle «  la relève », et le service du travail obligatoire « STO »
 
Kiel est situé au Nord de l’Allemagne, en bordure de la mer Baltique
 
Le STO c’est quoi ?
L'état français est le seul parmi les états européens à forcer ses ressortissants à collaborer. Si on ne dispose pas de statistiques fiables et complètes concernant les travailleurs français partis en Allemagne, on peut estimer leur nombre à 600.000 ou 650.000. Si on ajoute les travailleurs français restés en France dans les usines d'armement on obtient le chiffre, selon Jean Paul Cointet (*), de 3 millions de personnes.
 
En Janvier 1942, l’Allemagne manque d'hommes, elle a plus que jamais besoin de main d'œuvre étrangère, mais les ouvriers volontaires ne sont pas assez nombreux. Sauckel (**) exige l'envoi de 350.000 travailleurs français en Allemagne, dont 150.000 spécialistes : C’est « la relève ». qui consiste à échanger un prisonnier contre trois ouvriers français. Les services allemands et les autorités de Vichy mettent en place conjointement un appareil de recrutement. A la fin du mois d'août 1942, entre 47.000 et 60.000 travailleurs, plus forcés que volontaires, sont partis travailler en Allemagne, alors que Sauckel en avait exigé 350.000. C'est alors, qu'est instauré le « service du travail obligatoire » dit « STO ».
 
Avec l'instauration du STO, le gouvernement de Vichy bascule dans la collaboration extrême, en imposant le départ forcé d'une catégorie de la population. La loi n°869 du 4 septembre 1942, relative à l'utilisation et l'orientation de la main d'œuvre, impose la conscription obligatoire de tous les hommes âgés de 18 à 50 ans et toutes les femmes célibataires de 21 à 35 ans.
Après la défaite de l'Allemagne, les travailleurs forcés arrivent dans une France qui a déjà vécu la libération, certains engagés comme volontaires ont été accusés devant les chambres civiques d'avoir collaboré avec l'Allemagne. Ceux qui avaient participé à la relève furent considérés moins suspects. Leur engagement pouvant être assimilé à un geste de solidarité. Les hommes réquisitionnés par le STO n'ont jamais été considérés juridiquement comme des déportés. En 1951 ils obtiennent le statut de « personnes contraintes au travail », « PCT »
 
 
 Ils ont été des hommes ordinaires, dans une période qui a révélé des hommes extraordinaires.
Ils ne méritent ni admiration, ni opprobre, seulement la reconnaissance de leur histoire
Ils furent rejetés dans une zone grise de la mémoire hors du rêve des héros et du cauchemar de l’horreur de la condition humaine.
Face à ceux qui, oublieux des situations de l’époque, clamèrent après l’occupation et la fin de la guerre « il ne fallait pas y aller » et muèrent les victimes en coupables, que tous ces hommes ordinaires à l’instar de mon grand père « ne baissent pas les yeux, devant qui que ce soit ».
 
(*) Jean-Paul Cointet est un historien français, spécialiste de la France de Vichy.
(**) Fritz Sauckel, surnommé le « négrier de l'Europe », fut chargé d'amener la main-d'œuvre de toute l'Europe par tous les moyens. Il s'intéressa particulièrement à la France. Au cours des années 1942 et 1943, Sauckel usa d'intimidations et de menaces pour remplir ses objectifs
 
 
 
Julien en Allemagne
L' arrivée
Julien arrive le 10 août 1942 en Allemagne, comme l’atteste la date d’inscription de son assurance « obligatoire » auprès de la caisse maladie des « Deutsche Werke » (Usines Allemandes)
 
… Alors que la main d’œuvre continuait malgré tout à manquer pour l’industrie, le Gauleiter Fritz Sauckel fut chargé, comme on le sait, d’une véritable « chasse » à l’ouvrier dans toute l’Europe nazie.
 
Nommé par Hitler, en mars 1942, dès le 5 mai 1942, il publie une ordonnance autorisant le recours à la force pour recruter de la main d’œuvre dans tous les pays occupés. C’est pour éviter cette contrainte en France que Laval lance un appel à la relève volontaire des prisonniers, le 26 juin 1942.
Cet appel n’ayant pas eu suffisamment d’écho, la loi française du 4 septembre 1942, dite « d’orientation de la main d’œuvre », autrement dit, la relève forcée, va être la première étape du vaste mouvement de déportation des travailleurs français vers l’Allemagne. C’est ainsi que près de la moitié des ouvriers déportés en Allemagne l’ont été en réponse à cette loi et avant l’instauration du STO par la loi du 16 février 1943 et son extension le 1er février 1944.
 
Le « recrutement » consista essentiellement en rafles, Sauckel a lui-même reconnu, en mars 1944, que « sur les cinq millions de travailleurs étrangers qui sont en Allemagne, il n'y avait même pas deux cent mille volontaires ».
Tous ceux qui étaient contraints au travail forcé étaient rassemblés et transportés en Allemagne, grâce à un remarquable système de «Ratissage ». A leur arrivée, ces travailleurs étaient placés sous le contrôle des ministères du Travail et de l’Agriculture, du Front allemand du Travail (Deutsche Arbeiter Front, DAF) et des différentes industries intéressées.
 
 
Le logement
Julien est « logé » à Wattenbek dans les baraquements, sorte de camp communautaire des usines Allemandes, près de Bordesholm.
 
…Les travailleurs se retrouvèrent mêlés de plus en plus aux Allemands, avec les difficultés de logement qui augmentaient.
Les baraquements destinés à loger ces travailleurs étaient souvent bien conçus, mais ils avaient été construits à la va-vite, le bois était vert et il manquait souvent un doublage. Les dégâts consécutifs aux attaques aériennes, en particulier les vitres brisées, n’étaient réparés que tardivement. Quant au chauffage, en dehors du fait que souvent les baraquements étaient ouverts à tous les vents, les restrictions de charbon furent bientôt si dures que l’on pouvait à peine chauffer 2 à 3h par jour.
 
Ces camps sont pour la plupart entourés de barbelés et la vie y est très strictement organisée. Ils étaient en général organisés directement par les entreprises qui coopéraient aussi avec la SS.
 
En ce qui concerne l’hygiène, la durée de la journée de travail laissait peu de loisir pour s’occuper de son linge et de son corps. Il faut ajouter que dans certains camps les aménagements les plus essentiels étaient absents. Les installations sanitaires étaient plus que déficitaires. Des épidémies s’en suivirent qui atteignaient facilement des personnes déjà affaiblies par la vermine, certaines paillasses n’étant changées que tous les ans. Un peu partout, les alertes au typhus n’étaient pas rares.
Source : extrait de Françoise Berger. L'exploitation de la main d’oeuvre française dans l'industrie sidérurgique allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Revue d Histoire Moderne et Contemporaine, Societe D'histoire Moderne et Contemporaine, 2003, p.148-181.https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00147417/document
 
Localisation de Wattenbek : Pays Allemagne, État Schleswig-Holstein, Arrondissement Rendsburg-Eckernförde.
Villes et villages voisins : Bordesholm
 
 
Le travail
Julien, affecté au travail forcé dans les usines allemandes, est employé comme « électrotechnicien ». Certaines de ces usines, à l’image de la Deutsche Werke Werft se consacrent à la construction de navires de guerre, mais aucun document ne m’a permis de préciser l’usine et le poste d’affectation de Julien
 
 
Le licenciement
On peut aisément supposer que la première journée de travail de Julien en Allemagne est la même que celle de son arrivée sur ce sol hostile, le 10 août 1942. Il n’aura pas tenu longtemps … 4 mois et 12 jours plus tard, le voilà licencié.

Contrairement à ses « camarades » d’infortune, le motif du licenciement, n’est pas «  pour cause de maladie », ou pour « rupture de contrat » ou encore « fin de contrat ». Le 22 décembre 1942, Julien est licencié parce qu’il est « DÉTENU » …. Qu’a-t-il donc fait pour mériter ce traitement ?

A- t-il, délibérément ou non, « oublié de brancher un fil électrique comme il aurait dû le faire ?,

A t-il déserté son poste de travail ?

A t-il eu un comportement qui a déplu au « chef SS » ?

A-t-il eu la mauvaise idée de promouvoir l’idéal communisme ?

A-t-il eu l’outrecuidance de prédire la victoire des Russes ? Ces commentaires imprudents, formulés peut-être en présence de personnes malveillantes constituent pour l’Allemagne une faute très grave

 

La détention
Julien est donc désormais «  INCARCÉRÉ », « PRISONNIER », probablement à la prison de Kiel située dans le Holstein. On devine la suite de son calvaire.
Julien décède le 18 mars 1943 à 16h00 environ à la clinique chirurgicale de Kiel.
 
Son corps a été déposé dans la tombe N° 60/235 au cimetière de Kiel Eichhof.
 
Le 16 avril 1952, le Ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre, informe Louise BOSSU, que la dépouille mortelle de Julien a été ramenée en France.
 
 
 
 
Julien BOSSU repose dans la Nécropole Nationale "Le Petant"
14 mai 2007, 9h00, Montauville (Meurthe et Moselle).

Submergée d’émotion, je suis devant la sépulture de mon grand-père. Un ossuaire où reposent 1350 autres français morts pour la France. Quelques mois auparavant, Internet et le site internet « défense.gouv » m’avaient permis d’ouvrir « LA FICHE » de ce grand-père dont je ne connais pas toute l’histoire.

 

Inhumé sous le nom de BUSZUS, cette erreur a depuis été rectifiée, sa mémoire est désormais sauvegardée.

 

arbre cadre
 
 
 
 
Marie-Gilberte MARQUET
Marie-Gilberte MARQUET est née le vendredi 22 mai 1903 à Roanne (42). Elle est la fille de Louis MARQUET, pareur, natif d’Ambierle (42) âgé de 30 ans et de Marie "Louise" BLANCHONNET, concierge, native de Pouilly les Nonains (42) âgée de 27 ans
Marie-Gilberte sera tisseuse. Elle restera internée à Clermont Ferrand (63) de 1926 à 1942 l’année de son décès

Marie Gilberte MARQUET épouse BOSSU

 

Pourquoi à Clermont Ferrand (Puy de Dôme) ?
Le couple demeure à Mably département de la Loire, mais Marie Gilberte sera contrainte d’entrer dans un établissement à Clermont Ferrand.
Avec la loi du 30 juin 1838, qui fait obligation à chaque département de se doter d'un asile d'aliénés,… le nombre d’établissements s'accroit au fil des décennies …Toutefois, certains départements sont restés fort longtemps sans établissement (il en était ainsi en 1938 pour vingt des quatre-vingt-dix départements d'alors, et en 1958 pour les Ardennes, la Corse, le Doubs, la Drôme, le Gard, l'Indre, le Loir-et-Cher, la Loire, les Pyrénées-Orientales, la Saône-et-Loire, la Seine-et-Marne). Source : psychiatrie.histoire.free.fr
 
Quelles sont les causes de son internement ?
Marie Gilberte est victime de fièvres puerpérales ayant entrainé une perte de la raison appelée démence

Peu de temps après son mariage, Marie Gilberte MARQUET entre très tôt à l’hôpital à Clermont Ferrand (établissements nommés asiles d'aliénés rebaptisés en 1937 hôpitaux psychiatriques). Il semblerait pourtant qu’elle soit rentrée chez elle, puis de nouveau retournée dans cet établissement où elle subira le « traitement » réservé à ce genre de pathologie tel qu’on savait le faire à cette époque : internement accompagné de la malnutrition

 

Quelle est la cause de son décès ?

L’euthanasie promue par Hitler est peu probable
En septembre 1939, Hitler ordonne d'appliquer l'euthanasie aux aliénés et aux incurables. Le plan T4 est la désignation courante, utilisée pour la campagne systématique d'assassinat par le régime nazi en vue d’éliminer les handicapés mentaux ou physiques. Au sens strict, elle ne concerne que les assassinats au moyen de chambres à gaz, mais la plupart des auteurs y incluent l'élimination des malades mentaux par la famine, des injections médicamenteuses létales ou d'autres méthodes. Elle est effectuée à l'insu des proches des patients concernés, et elle n'a pas pour but de mettre fin à des souffrances mais bien d'éliminer des individus considérés par les nazis comme une charge pour la société et une entrave à la « pureté de la race ». Source : wikipedia.org

 

La malnutrition,  un mal imposé par ailleurs à toute une population, est tout aussi improbable
Il a fallu plusieurs décennies et des prises de positions parfois provocantes pour que l’on prenne la mesure du drame qui a touché les hôpitaux psychiatriques français sous l’occupation. Pendant cette période, une quarantaine de milliers de malades mentaux sont morts victimes, directement ou indirectement, de la famine. La plupart des historiens s’entendent sur ce nombre, mais il n’est qu’approximatif, le dénombrement précis ne semblant pas réalisable pour des raisons développées ailleurs……
Source : biusante.parisdescartes.fr - extrait de « A propos de l’hécatombe par carence dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’occupation par Michel Caire »-
 
Marie-Gilberte MARQUET est décédée le lundi 2 mars 1942, à l'âge de 38 ans, à Clermont-Ferrand (63) 10 rue de l’Observatoire